Pourquoi il faut adhérer à l’Internationale ? (texte d’Emile Chauvelon en 1919)

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Ce texte d’Emile Chauvelon est publié sur le site très documenté  “Fragments d’Histoire de la gauche radicale

Emile Chauvelon, important dirigeant libre penseur (organisateur du Congrès international de Paris en 1905, par exemple) se prononça pour la Révolution russe et la IIIe Internationale. Le texte que nous publions ici est un élément de la réflexion du mouvement ouvrier après 1917.

Pourquoi il faut adhérer à l’Internationale ?
L’Internationale, n°17, 14 Juin 1919
Article mis en ligne le 7 novembre 2013 par ArchivesAutonomies
Le Comité de Défense Syndicaliste vient de rédiger et de publier le Manifeste et les Statuts de la Section française de la Troisième Internationale.
Pourquoi faut-il adhérer dès maintenant, que dis-je ? surtout maintenant, à cette section française de la Troisième Internationale ? Telle est la question que je voudrais non pas traiter (il y faudrait presque un livre), mais esquisser ici.
Cette adhésion immédiate s’impose, me semble-t-il, pour quatre sortes de raisons ; raisons de doctrine, raisons de tactique socialiste, raisons de tactique syndicaliste, raisons de tactique politique.
Je ne dirai qu’un mot des raisons de doctrine.
On lit dans le manifeste du 23 janvier de l’Internationale Communiste de Moscou, à laquelle nous nous rattachons directement, ceci : “Déjà Marx et Engels ont prouvé théoriquement que le nom de social-démocratie est faux. Le krach honteux de l’Internationale social-démocratique (la Deuxième Internationale) nécessite une délimitation même sur ce point “.
Rien de plus juste. Il suffit de lire les dernières pages du Manifeste Communiste de Marx et d’Engels pour se rendre compte que Marx et Engels ne regardent que comme un pis-aller, comme un moyen de transition, cette prétendue démocratie socialiste en faveur de laquelle Kautsky rompt des lances avec beaucoup plus de persévérance que de vigueur et de logique. Aussi faut-il voir sur quel ton Lénine lui réplique dans sa brochure : “Die proletarische Revolution und der Renegat Kautsky” ; le titre est clair, et n’a pas besoin de traduction. Lénine n’est pas non plus très indulgent à l’égard de Turati et de Longuet. Mais laissons cela, et bornons-nous à rappeler cette vérité élémentaire : à savoir que le communisme est l’aboutissement direct du marxisme. Marxisme, communisme, bolchévisme sont présentement des termes synonymes. Voilà pourquoi la presse vendue au capitalisme n’a pas assez d’injures pour le bolchévisme, tandis qu’elle laisse la Deuxième Internationale dormir le plus tranquillement du monde, comme une Belle au Bois Dormant qu’aucun Prince Charmant ne viendra jamais plus réveiller. Car la Deuxième Internationale n’est plus belle du tout, depuis qu’elle a laissé massacrer les peuples, et parmi les peuples les héroïques Bolchéviks nos frères et nos modèles, nos martyrs !
En second lieu, il faut adhérer à la section française de l’Internationale Communiste pour des raisons de tactique socialiste. C’est clair. Le socialisme s’est enlisé dans un lamentable opportunisme. Il a toléré, il tolère encore, la participation ministérielle, soit avérée et publique, soit occulte ; et cette dernière est de beaucoup la pire. Il s’est abâtardi au point de ne pas savoir reconnaître, du premier coup, dans la République des Soviets, la réalisation de la pensée marxiste, au point de se renier lui-même ? Il est urgent qu’il se réhabilite, afin que les masses ne perdent pas toute la confiance qu’elles avaient placées en lui. Le socialisme a laissé continuer la guerre, même après la publication des Traités Secrets. Il laisse massacrer les Bolchéviks, même six mois après l’armistice. C’est bien : remplaçons ce socialisme tombé dans l’impuissance par le communisme, dont la nette formule ne laisse place à aucune défaillance.
Troisième point : raisons de tactique syndicaliste. Là encore, hélas, la chose n’est que trop claire. Nos dirigeants syndicalistes, qui semblent ne plus avoir pour se maintenir en place que la force de l’habitude, comme les antiques bâtisses, sont tombés dans le pur Gompersisme. On nous affirme que dans la partie orientale du Canada, l’influence de Gompers a neutralisé le mouvement bolchéviste : heureux Canada qui n’est gompersifié que pour moitié ! La France syndicaliste, elle, l’est tout entière (Mr. Wilson, l’ami de Gompers, doit être “content, très content”) du moins en ce qui concerne les dirigeants. Les derniers numéros de l’Internationale, de la Vie ouvrière, du Libertaire, ont fait d’une façon si lumineuse la critique de l’aboulie, de l’absence de directives qui caractérise le dernier mouvement gréviste – si beau cependant par certains côtés – que ce que j’ai de mieux à faire est d’y renvoyer mes lecteurs. Oui, les dirigeants se sont visiblement appliqués à emprisonner ce mouvement gréviste dans un corporatisme de tout repos.
Ces braves pompiers, n’ayant pas assez d’eau dans leurs tuyaux, ont circonscrit l’incendie, exactement comme faisaient nos pompiers parisiens, quand ils opéraient sous l’oeil toujours malveillant de M. Lépine au casque tout flambant neuf.
Enfin raison de tactique politique.
Ah, comment dire en termes mesurés et décents toute l’indignation qu’éveille et qu’entretient dans le coeur des socialistes qui ont un coeur cette abominable Deuxième Internationale qui, depuis plus de six mois que la guerre est finie, tolère l’expédition contre les Bolchéviks ! Ce sera sa honte éternelle devant l’histoire, de n’avoir pas su tout au moins comprendre que la défaite du Bolchévisme serait la défaite du socialisme international ! Les miséra­bles ! Quoi, Branting écrit des lettres contre les pogroms de Pologne (lesquels d’ailleurs sont abominables) et il laisse publier une interview contre les Bolchéviks- que l’on massacre. Mais, fussent-ils cent fois coupables, ces Bolchéviks, fussent-ils des socialistes dévoyés ou égarés (ce qui n’est d’ailleurs pas ; c’est l’ex et futur ministre Branting lui est dévoyé) il fallait, Monsieur Branting, les sauver d’abord, les juger ensuite. Quels misérables que ces leaders !
Et que dire, grands dieux, de ces autres Branting qui, actuellement, sous prétexte de défendre la Russie révolutionnaire – on n’écrit pas ce mot : la Russie bolchéviste, il paraît que c’est mal porté ; la presse des Ventres-Dorés n’aime pas ce mot – qui, dis-je, essaient de détacher le socialisme italien et le socialisme suisse de l’Internationale bolchéviste de Moscou ; car les rattacher, par ces temps d’abominable crise d’impérialisme, à l’Internationale des Branting et des Vandervelde, c’est en réalité les séparer de Lénine, c’est les séparer de Trotsky, c’est les séparer de nos frères bolchéviks de Russie et de Hongrie qui luttent, qui saignent, qui meurent pour l’idéal communiste. C’est faire geste et acte de trahisseurs.
Nous disons, nous : il ne faut plus que les Bolchéviks meurent, car ils méritent de vivre, et d’autre part, leur mort serait la mort du communisme.
Ils ne mourront plus ; ils vivront si, dédaigneux des manoeuvres in extremis de la Deuxième Internationale, tous les socialistes sincères qui sont en France (ils sont innombrables, mais ils s’ignorent), si, dis-je, tous ces socialistes vaillants et bons se rallient immédiatement à la section française de l’Internationale Communiste : immédiatement !
Au moins celle-là ne “manoeuvre” pas. Elle y va carrément. Elle dit : “Je suis bolchéviste. Vive les bolchéviks !”.
Cela au moins, c’est clair. Ce n’est pas dans une musette, ni dans le portefeuille d’un ministrable.

Emile CHAUVELON. [1]
Notes :

[1] Tout au long de la Grande Guerre, la contribution de Chauvelon au Progrès fut importante : ses articles hebdomadaires devançaient et favorisaient l’évolution de ses camarades loir-et-chériens vers une attitude d’hostilité à la guerre ; ils constituent un témoignage sur la réflexion d’un socialiste averti face à la guerre. Au début des hostilités, il considéra “l’Union sacrée” comme une nécessité, mais en lui préférant la notion “d’Union nationale” qu’il voulait laïque et républicaine. À ses yeux, il ne pouvait s’agir que d’une “guerre de défense” qui devait se terminer “par une paix sans violences et sans annexions” (Le Progrès, 3 décembre 1915). Il soutint la participation de socialistes au gouvernement, mais réclamait le respect du jeu parlementaire et des mesures contre les “profiteurs de guerre”. Il collabora à l’École (n°1, 31 octobre 1914) qui prit la suite de l’École émancipée, revue de la Fédération nationale des instituteurs, puis à l’École de la Fédération qui lui succéda en juin 1915. Cette même année, il adhéra au Comité d’action internationale créé par Péricat. Dès le début de 1916, il remit en cause l’union sacrée, estimant que “l’heure est passée de la participation ministérielle” (Le Progrès, 18 février 1916) et se déclara favorable à la reprise des relations internationales entre partis socialistes. Il se fit ainsi le porte-parole de la minorité socialiste et il finit par amener la Fédération de Loir-et-Cher à soutenir les positions de cette dernière. Il développa désormais le problème des “buts de la guerre” qui devaient être une paix juste, durable, “sans annexions et sans conquêtes”, fondée sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. S’opposant aux attitudes annexionnistes, il en vint à préconiser “la sécession sacrée” sur le plan gouvernemental, et, en ce qui concerne le Parti, il opposa à l’”unité socialiste” “l’action socialiste” qu’il dit préférer. Ses articles, en raison de leur contenu pacifiste, étaient très souvent censurés.
Il s’enthousiasma pour la Révolution russe qui pour lui ouvrait la voie de la révolution universelle. Dans ses articles de 1918 il appelait les socialistes à “agir enfin en socialistes” et il entendait par-là, suivre l’exemple des bolcheviks. Cela l’amena à mettre en cause la IIe Internationale : dès le 5 juillet 1918, il concluait un éditorial : “L’heure de la IIIe Internationale me semble arrivée. La seconde est pis que morte. Elle est infidèle à notre noble et pur idéal.” Il était persuadé de la proche victoire du socialisme : “Le capitalisme a vécu : la paix sera l’œuvre du socialisme intégral et international” (17 janvier 1919). Il combattait le réformisme avec des positions de classe très fermes : “Action de classe, lutte de classe, politique de classe. En dehors de cela il n’y a pas de socialisme.” (21 mars 1919).
Il se consacra désormais à la propagande en faveur de l’adhésion à la IIIe internationale. Sur le plan national, il participa à l’initiative de Péricat de création d’un Parti communiste en décembre 1919 et il siégea quelque temps à la direction du comité de la IIIe Internationale, milita à la Fédération communiste des soviets et fut rédacteur au Soviet en 1921. Il collaborait aussi à la Vie Ouvrière.

P.S. :

Texte publié dans le Recueil de textes du Parti Communiste de France (1919) par la revue Invariance. Pour tout renseignement concernant ces textes, leur origine, leur contenu, nous vous invitons à prendre contact avec Jacques Camatte.